Le problème n’est pas à Moscou mais à Kiev!
RFI par Marina Mielczarek
En Europe, de plus en plus de pays sont touchés par l’arrêt des fournitures de gaz à l’Ukraine par la Russie. Qu’ils soient croate, serbe, slovaque, bulgare, grec, macédonien ou turc, les gouvernements s'inquiètent de ces coupures d’énergie. Mardi, la présidence tchèque de l’Union européenne a rencontré à Berlin les dirigeants de Gazprom. Comme l'Europe dépend à 80% du transit ukrainien pour ses importations de gaz russe, les 27 demandent que Kiev et Moscou mettent très vite fin à leur conflit. Les Européens ont-ils une alternative ? Décryptage avec l’expert Gilles Rémy, conseiller au commerce extérieur à Paris et PDG de CIFAL (Entreprise spécialisée dans le conseil sur les questions énergétiques en Russie et dans le Caucase).
RFI : Depuis le début de la crise en décembre, les Européens ont été plutôt réticents à intervenir entre Kiev et Moscou, pourquoi ?
Gilles Rémy, Conseiller au commerce extérieur à Paris : Il y a deux solutions, soit ces coupures de gaz sont dues à une initiative ukrainienne, soit elles proviennent d’une baisse de volume de gaz fourni par Gazprom. Au jour d’aujourd’hui, personne n’en sait rien ! Et pour cause, les compteurs sont à Moscou. L’Union Européenne ignore combien de quantité de gaz sort de Russie. Et contrairement à ce qu’on lit beaucoup dans les journaux, cette crise est économique avant d’être politique, même si les deux domaines sont évidemment liés.
Le cœur du contentieux c’est de savoir le prix qu’est prête à payer l’Ukraine pour le m3 de gaz durant l’année 2009. Or, je vous le signale, Kiev n’a toujours pas payé sa facture de 2008 ! L’Ukraine est un pays en quasi faillite. Faillite économique et politique, car les dirigeants se déchirent et je crains que le pouvoir ne profite de ces déséquilibres intérieurs pour ne pas payer ses dettes. A 250 dollars le mètre cube contre près de 450 $ pour les autres européens, Kiev serait encore largement en dessous du prix mondial en 2009. Et je regrette la crise actuelle car en novembre dernier, nous étions très proches d’un accord entre Kiev et Moscou. Mais en raison des mésententes au sein du gouvernement, le prix du gaz a été prix en otage, il a servi de bouc émissaire en quelque sorte entre le président et son Premier ministre, incapable de s’entendre sur leurs relations avec la Russie.
RFI : L’Ukraine, comme la plupart des pays voisins de la Russie, paie son gaz à un prix réduit, en tout cas bien inférieur à celui du marché international.
G.R. Les Russes n’ont simplement pas le choix ! Ils ont besoin de tous leurs clients car Gazprom est une entreprise aujourd’hui très endettée.
Il s’est passé bien des choses en 2008 ! Il ne faut pas oublier que la marge diminue. Pour assurer ses contrats à long terme, Moscou achète du gaz, au prix du marché international, à l’Asie centrale (Ouzbékistan, Turkménistan, Azerbaïdjan). La vraie raison pour laquelle Moscou fait un prix d’amis à ses voisins est à chercher dans leurs relations passées. Tous ces pays sont d’anciens membres du bloc soviétique ou ont toujours été liés à la Russie, la plupart étant d’anciens membres du COMECOM (Conseil d’aide économique mutuelle pour les pays de l’Est) ils payaient encore un prix aligné sur le prix intérieur russe. Maintenant que la donne politique a changé, il y a un processus de rattrapage qui s’effectue et ces pays doivent petit à petit s’aligner sur les prix européens, donc beaucoup plus élevés.
RFI : Ces coupures vont-elles toucher tous les pays d’Europe dans les jours prochains ? Cela fait des années qu’on parle du projet Nabucco, le gazoduc qui acheminerait le gaz de la région Caspienne vers la France, l’Italie, toute l’Europe occidentale, mais aussi d’autres tuyaux énergétiques qui contourneraient la Russie, pourquoi ces différents transits n’arrivent-ils pas à aboutir ?
G.R. Que les Français se rassurent, pas d’inquiétude pour les Européens ! Leur approvisionnement va être de plus en plus diversifié. Chaque pays, y compris l’Ukraine d’ailleurs, bénéficie de ses propres réserves. En gros, elles permettent un an de survie énergétique ! En ce qui concerne les alternatives, tous les chemins, tous les projets sont bien distincts. Il y a trois projets en cours : South Stream, North Stream et Nabucco. Le projet le plus abouti est le North Stream, il enverra le gaz des pays nordiques vers l’Europe occidentale notamment l’Allemagne, en passant sous la mer baltique. Nous sommes très proches de la mise en fonction. Les équipementiers sont prêts, les industries investissent et passent concrètement des contrats. Les retards sont dus à des confrontations diplomatiques entre les pays.
Pour le South Stream, la situation est différente. South Stream est un concurrent direct de Nabucco (dont les tuyaux passeraient par les mêmes routes via la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie pour aboutir en Autriche et en Allemagne). Plusieurs pays sont engagés dans ce projet dans lequel Gazprom, donc le Kremlin, est très impliqué : l’Allemagne avec son entreprise Edison bien-sûr, mais aussi la Grèce et surtout l’Italie, qui ont également beaucoup investi dans South Stream.
Le troisième projet donc c’est Nabucco. En fait le plus compliqué des trois car il résulte d’une multitude de pays partenaires. Nabucco, à la différence de South Stream et de North Stream n’est pas tiré par les industries mais par les gouvernements : européens et américain. Or, en raison de certaines critiques de l’UE ou des Américains envers la Russie, les Etats-Unis et les 27 sont extrêmement affaiblis en Asie centrale. Les pays du Caucase se méfient des puissances occidentales, en tout cas ils ont du mal à savoir ce que l’Europe veut dire, une sorte de « ventre mou », ils hésitent à s’engager. De l’autre côté, il n’y a pas une multitude de possibilités, pour faire fonctionner Nabucco, il faut trouver du gaz et l’une des solutions serait par exemple de compter sur l’Iran, mais n’y comptons pas en raison des tensions diplomatiques entre Téhéran et Washington.
RFI : Le pôle asiatique est en pleine émergence, l’Inde, la Chine, et le Japon demandent des quantités énormes d’énergie, l’Europe va-t-elle entrer en concurrence directe avec l’Asie ?
G.R. Oui, effectivement c’est la course entre les deux pôles ! Autant les Européens sont empêtrés dans des relations diplomatiques qui ralentissent les choses, autant la Chine a vite réglé son problème de gaz. Deux ans de négociations et tout était bouclé ! En 2008, la construction du gazoduc reliant l’Asie centrale à la Chine est pratiquement achevée. Dans deux ans, les tuyaux achemineront 40 milliards de m3 du Turkménistan à Pékin, soit deux fois la consommation de la France !
Vous imaginez quelle manne pour les pays d’Asie Centrale qui, maintenant, sont en position de force. Ils peuvent négocier, faire monter les enchères, ils ont tout leur temps…
RFI : Un mot pour conclure ?
En fait l’époque a radicalement changé ! Finies les années 1990 où tous les pays du monde devaient s’entendre et négocier avec Gazprom. Aujourd’hui, les pays du Caucase, l’Asie centrale sont courtisés. Le temps d’une seule et unique voie d’évacuation est bel et bien terminé.
RFI par Marina Mielczarek
En Europe, de plus en plus de pays sont touchés par l’arrêt des fournitures de gaz à l’Ukraine par la Russie. Qu’ils soient croate, serbe, slovaque, bulgare, grec, macédonien ou turc, les gouvernements s'inquiètent de ces coupures d’énergie. Mardi, la présidence tchèque de l’Union européenne a rencontré à Berlin les dirigeants de Gazprom. Comme l'Europe dépend à 80% du transit ukrainien pour ses importations de gaz russe, les 27 demandent que Kiev et Moscou mettent très vite fin à leur conflit. Les Européens ont-ils une alternative ? Décryptage avec l’expert Gilles Rémy, conseiller au commerce extérieur à Paris et PDG de CIFAL (Entreprise spécialisée dans le conseil sur les questions énergétiques en Russie et dans le Caucase).
RFI : Depuis le début de la crise en décembre, les Européens ont été plutôt réticents à intervenir entre Kiev et Moscou, pourquoi ?
Gilles Rémy, Conseiller au commerce extérieur à Paris : Il y a deux solutions, soit ces coupures de gaz sont dues à une initiative ukrainienne, soit elles proviennent d’une baisse de volume de gaz fourni par Gazprom. Au jour d’aujourd’hui, personne n’en sait rien ! Et pour cause, les compteurs sont à Moscou. L’Union Européenne ignore combien de quantité de gaz sort de Russie. Et contrairement à ce qu’on lit beaucoup dans les journaux, cette crise est économique avant d’être politique, même si les deux domaines sont évidemment liés.
Le cœur du contentieux c’est de savoir le prix qu’est prête à payer l’Ukraine pour le m3 de gaz durant l’année 2009. Or, je vous le signale, Kiev n’a toujours pas payé sa facture de 2008 ! L’Ukraine est un pays en quasi faillite. Faillite économique et politique, car les dirigeants se déchirent et je crains que le pouvoir ne profite de ces déséquilibres intérieurs pour ne pas payer ses dettes. A 250 dollars le mètre cube contre près de 450 $ pour les autres européens, Kiev serait encore largement en dessous du prix mondial en 2009. Et je regrette la crise actuelle car en novembre dernier, nous étions très proches d’un accord entre Kiev et Moscou. Mais en raison des mésententes au sein du gouvernement, le prix du gaz a été prix en otage, il a servi de bouc émissaire en quelque sorte entre le président et son Premier ministre, incapable de s’entendre sur leurs relations avec la Russie.
RFI : L’Ukraine, comme la plupart des pays voisins de la Russie, paie son gaz à un prix réduit, en tout cas bien inférieur à celui du marché international.
G.R. Les Russes n’ont simplement pas le choix ! Ils ont besoin de tous leurs clients car Gazprom est une entreprise aujourd’hui très endettée.
Il s’est passé bien des choses en 2008 ! Il ne faut pas oublier que la marge diminue. Pour assurer ses contrats à long terme, Moscou achète du gaz, au prix du marché international, à l’Asie centrale (Ouzbékistan, Turkménistan, Azerbaïdjan). La vraie raison pour laquelle Moscou fait un prix d’amis à ses voisins est à chercher dans leurs relations passées. Tous ces pays sont d’anciens membres du bloc soviétique ou ont toujours été liés à la Russie, la plupart étant d’anciens membres du COMECOM (Conseil d’aide économique mutuelle pour les pays de l’Est) ils payaient encore un prix aligné sur le prix intérieur russe. Maintenant que la donne politique a changé, il y a un processus de rattrapage qui s’effectue et ces pays doivent petit à petit s’aligner sur les prix européens, donc beaucoup plus élevés.
RFI : Ces coupures vont-elles toucher tous les pays d’Europe dans les jours prochains ? Cela fait des années qu’on parle du projet Nabucco, le gazoduc qui acheminerait le gaz de la région Caspienne vers la France, l’Italie, toute l’Europe occidentale, mais aussi d’autres tuyaux énergétiques qui contourneraient la Russie, pourquoi ces différents transits n’arrivent-ils pas à aboutir ?
G.R. Que les Français se rassurent, pas d’inquiétude pour les Européens ! Leur approvisionnement va être de plus en plus diversifié. Chaque pays, y compris l’Ukraine d’ailleurs, bénéficie de ses propres réserves. En gros, elles permettent un an de survie énergétique ! En ce qui concerne les alternatives, tous les chemins, tous les projets sont bien distincts. Il y a trois projets en cours : South Stream, North Stream et Nabucco. Le projet le plus abouti est le North Stream, il enverra le gaz des pays nordiques vers l’Europe occidentale notamment l’Allemagne, en passant sous la mer baltique. Nous sommes très proches de la mise en fonction. Les équipementiers sont prêts, les industries investissent et passent concrètement des contrats. Les retards sont dus à des confrontations diplomatiques entre les pays.
Pour le South Stream, la situation est différente. South Stream est un concurrent direct de Nabucco (dont les tuyaux passeraient par les mêmes routes via la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie pour aboutir en Autriche et en Allemagne). Plusieurs pays sont engagés dans ce projet dans lequel Gazprom, donc le Kremlin, est très impliqué : l’Allemagne avec son entreprise Edison bien-sûr, mais aussi la Grèce et surtout l’Italie, qui ont également beaucoup investi dans South Stream.
Le troisième projet donc c’est Nabucco. En fait le plus compliqué des trois car il résulte d’une multitude de pays partenaires. Nabucco, à la différence de South Stream et de North Stream n’est pas tiré par les industries mais par les gouvernements : européens et américain. Or, en raison de certaines critiques de l’UE ou des Américains envers la Russie, les Etats-Unis et les 27 sont extrêmement affaiblis en Asie centrale. Les pays du Caucase se méfient des puissances occidentales, en tout cas ils ont du mal à savoir ce que l’Europe veut dire, une sorte de « ventre mou », ils hésitent à s’engager. De l’autre côté, il n’y a pas une multitude de possibilités, pour faire fonctionner Nabucco, il faut trouver du gaz et l’une des solutions serait par exemple de compter sur l’Iran, mais n’y comptons pas en raison des tensions diplomatiques entre Téhéran et Washington.
RFI : Le pôle asiatique est en pleine émergence, l’Inde, la Chine, et le Japon demandent des quantités énormes d’énergie, l’Europe va-t-elle entrer en concurrence directe avec l’Asie ?
G.R. Oui, effectivement c’est la course entre les deux pôles ! Autant les Européens sont empêtrés dans des relations diplomatiques qui ralentissent les choses, autant la Chine a vite réglé son problème de gaz. Deux ans de négociations et tout était bouclé ! En 2008, la construction du gazoduc reliant l’Asie centrale à la Chine est pratiquement achevée. Dans deux ans, les tuyaux achemineront 40 milliards de m3 du Turkménistan à Pékin, soit deux fois la consommation de la France !
Vous imaginez quelle manne pour les pays d’Asie Centrale qui, maintenant, sont en position de force. Ils peuvent négocier, faire monter les enchères, ils ont tout leur temps…
RFI : Un mot pour conclure ?
En fait l’époque a radicalement changé ! Finies les années 1990 où tous les pays du monde devaient s’entendre et négocier avec Gazprom. Aujourd’hui, les pays du Caucase, l’Asie centrale sont courtisés. Le temps d’une seule et unique voie d’évacuation est bel et bien terminé.