Le gazoduc Nabucco toujours dans le flou à dix mois de sa mise en chantier
A moins d'un an de la date prévue pour sa mise en chantier, le gazoduc Nabucco, visant à réduire la dépendance de l'UE au gaz russe, est toujours dans le flou quant à ses fournisseurs et ses investisseurs, malgré un accord signé avec l'Azerbaidjan et les pressions de Bruxelles. Si Nabucco a posé un cadre juridique et obtenu une aide de Bruxelles de 200 millions d'euros, les garanties sur l'élément clé -- le gaz -- font encore défaut.
Aucun contrat n'a encore été signé par les opérateurs de ce projet européen phare, devant transporter le gaz de la Caspienne à travers la Turquie et vers l'Europe de l'Ouest, en évitant la Russie et l'Ukraine. L'approvisionnement "va se concrétiser prochainement", assure le chef du consortium, Reinhart Mitschek, dans un entretien à l'AFP. Le président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso, a bien rapporté mi-janvier un accord d'Azerbaïdjan. Mais ni les volumes ni les délais ne sont précisés. Brouillant les cartes sur sa stratégie, Bakou a également promis des milliards de m3 à la Russie et l'Iran.
Pour que l'Azerbaïdjan puisse livrer Nabucco, d'une capacité de 31 milliards de m3 par an, "il faudrait déjà que le champ gazier Shah Deniz 2 produise et cela a été reporté à 2017", relève, sceptique, Thierry Bros, analyste à la Société Générale. Dans ces conditions, la mise en service a été une nouvelle fois reportée à fin 2015. "Nabucco ne participe pas à une course contre la montre ou contre d'autres projets. Cela importe peu que nous soyons prêt un trimestre plus tôt ou plus tard", avance Reinhart Mitschek. Autre signe d'un certain désarroi face au manque d'intérêt concret des puissances gazières de la Caspienne, Nabucco est prêt à transporter du gaz russe, selon son patron. Ce projet européen devait pourtant permettre de diversifier les approvisionnements des 27 pour réduire le pouvoir de Moscou.
Pour la première phase, chiffrée à 8 à 10 milliards de m3/an, Nabucco compte sur le gaz d'autres champs azéris et sur l'Irak, qu'une ramification du gazoduc doit désormais relier, à la place de l'Iran, en raison des tensions internationales autour du programme nucléaire de Téhéran. Ce nouveau tracé portera la longueur du gazoduc "à 3.900 km", d'après M. Mitschek. Avec ces 550 kilomètres supplémentaires, le coût global de 7,9 milliards d'euros devrait être revu à la hausse dans l'étude détaillée actuellement en cours d'élaboration. "Sans décision finale d'investissement tout ceci reste théorique", insiste l'analyste britannique Zoe Grainge de l'institut IHS. Elle doit intervenir fin 2011 selon M. Mitschek et incombe aux opérateurs membres du consortium: RWE (Allemagne), OMV (Autriche), MOL (Hongrie), Transgaz (Roumanie), Bulgargas (Bulgarie) et Botas (Turquie).
Kerstin Westphal, de l'institut allemand SWP, rappelle que "la sécurité énergétique repose en Europe sur le secteur privé". Suggérant que l'UE ne se substituera pas au marché, comme dans l'agriculture, même si Nabucco fait partie des priorités de Bruxelles. Le commissaire européen à l'Energie, Günther Oettinger, a d'ailleurs récemment poussé les entreprises derrière Nabucco à presser le pas. Face aux incertitudes, les pays traversés ont pris des assurances. Echaudés par la crise entre Kiev et Moscou qui les avait privés de gaz russe début 2009, ils participent tous au projet concurrent de Nabucco, South Stream. Porté par le géant russe Gazprom et l'italien ENI, il évite lui aussi l'Ukraine.