La Russie n’a pas à rougir de son passé
Nul pays n’est au-dessus de la critique. La Russie pas plus qu’un autre. Dans son cas cependant, on est frappé par la tonalité caricaturalement négative qui domine souvent informations, analyses et commentaires. La politique extérieure ? Celle d’un empire finissant, brutal, agressif. L’économie ? Repliée sur l’exportation des hydrocarbures, gangrénée par la corruption, incapable de faire face aux défis de demain. La vie quotidienne de ses habitants ? Soumise à l’arbitraire et à l’autoritarisme. Certes, tous les travers décrits ne sont pas imaginaires. Mais étrangement, aucune bonne nouvelle, aucun fait sympathique ne semble jamais pouvoir parvenir de chez notre grand voisin oriental. On chercherait vainement un pays comparable qui soit l’objet d’un tel traitement.
Difficile de ne pas voir là le poids de l’histoire – en l’espèce, du vingtième siècle. Pourtant, sont-ce les Russes qui ont déclenché la terrifiante tragédie que fut la Seconde Guerre mondiale ? Qui ont utilisé l’arme nucléaire, pour la première (et espérons la seule) fois dans l’histoire de l’humanité ? Qui ont mené d’interminables guerres coloniales, afin de maintenir le pillage de pays, voire de continents entiers ?
Non, les Russes n’ont pas, plus que d’autres, à rougir de leur passé. Peut-on décemment oublier que le sort de la Seconde Guerre mondiale bascula à Stalingrad ? C’est-à-dire sur le « front de l’Est » où, au prix d’indicibles souffrances, l’héroïsme d’un peuple et de son armée amorça ce qui allait aboutir à l’écrasement du IIIème Reich (la seule bataille de Stalingrad élimina deux fois plus de divisions de la Wehrmacht que celles qui furent mises hors de combat à l’Ouest entre le débarquement et la capitulation ; 85% des pertes militaires allemandes durant toute la guerre sont dues à l’Armée rouge).
Dans de tout autres domaines, ce qui était alors l’URSS fut capable de promouvoir l’éducation, la science, la culture au sein du peuple, à un rythme et sur une échelle dont peu de pays peuvent se targuer. Accès massif aux études supérieures ; premier vol non habité dans l’espace, puis premier cosmonaute ; prix dérisoire pour la fréquentation des théâtres ou des salles de concert… (est-il permis d’ajouter que la promotion de la langue française fut spectaculaire : aujourd’hui encore, qui parcourt la Russie rencontre force interlocuteurs, notamment de milieux populaires, qui parlent la langue de Molière et connaissent souvent notre littérature bien mieux que nous-mêmes).
Sans doute les actuels dirigeants russes n’attendent-ils pas que l’Union européenne renvoie une autre image de leur pays que la caricature évoquée plus haut. Aucun espoir de ce côté-là. Pour trois raisons notamment. D’abord, certains pays-membres de l’UE ont à leur tête des responsables dont la raison d’être est historiquement la russophobie (pour ne prendre qu’un exemple, les gouvernants lettons mettent en œuvre des politiques de discrimination, de vengeance judiciaire et de révisionnisme historique, dont on a peu idée ici). Ensuite, l’Union européenne est née de, dans, et pour la Guerre froide, un baptême qui la rend définitivement siamoise de l’OTAN (quarante ans plus tard, Javier Solana est passé directement du secrétariat général de l’Alliance au poste de Haut-représentant de l’UE, et personne n’imagine que la baronne britannique qui lui succède fasse quoi que ce soit qui pourrait s’éloigner de cette consanguinité, au demeurant rappelée explicitement par le traité de Lisbonne).
Enfin et surtout, l’essence même de l’intégration européenne est de former un bloc par-dessus la tête des peuples et de leur souveraineté.
À l’inverse, les Russes ont tout à gagner à coopérer avec les Français en tant que Français, les Allemands en tant qu’Allemands (et, serait-on tenté d’ajouter, entre autres : les Grecs en tant que Grecs…). Et vice versa. S’il en était besoin, l’expérience vient de le confirmer : ce n’est sûrement pas grâce à Bruxelles que les salariés des chantiers navals de Saint-Nazaire pourraient voir conforter leur emploi – bien au contraire, si l’on observe le tollé qu’a soulevé dans certaines capitales la perspective de commandes russes de bâtiments militaires. Et ce n’est pas quelque improbable musée communautaire, mais bien le Louvre, qui propose les remarquables richesses de « la Russie éternelle ».
La « belle et bonne alliance » dont parlait le Général de Gaulle passe nécessairement par les peuples. L’année de la Russie en France (et de la France en Russie) ne devrait pas manquer d’y contribuer. – Pierre Lévy, rédacteur en chef du mensuel Bastille-République-Nations, secrétaire genéral de l’IRICIN (Institut de Recherches Internationales pour les Coopérations et l’Indépendance des Nations).
Nul pays n’est au-dessus de la critique. La Russie pas plus qu’un autre. Dans son cas cependant, on est frappé par la tonalité caricaturalement négative qui domine souvent informations, analyses et commentaires. La politique extérieure ? Celle d’un empire finissant, brutal, agressif. L’économie ? Repliée sur l’exportation des hydrocarbures, gangrénée par la corruption, incapable de faire face aux défis de demain. La vie quotidienne de ses habitants ? Soumise à l’arbitraire et à l’autoritarisme. Certes, tous les travers décrits ne sont pas imaginaires. Mais étrangement, aucune bonne nouvelle, aucun fait sympathique ne semble jamais pouvoir parvenir de chez notre grand voisin oriental. On chercherait vainement un pays comparable qui soit l’objet d’un tel traitement.
Difficile de ne pas voir là le poids de l’histoire – en l’espèce, du vingtième siècle. Pourtant, sont-ce les Russes qui ont déclenché la terrifiante tragédie que fut la Seconde Guerre mondiale ? Qui ont utilisé l’arme nucléaire, pour la première (et espérons la seule) fois dans l’histoire de l’humanité ? Qui ont mené d’interminables guerres coloniales, afin de maintenir le pillage de pays, voire de continents entiers ?
Non, les Russes n’ont pas, plus que d’autres, à rougir de leur passé. Peut-on décemment oublier que le sort de la Seconde Guerre mondiale bascula à Stalingrad ? C’est-à-dire sur le « front de l’Est » où, au prix d’indicibles souffrances, l’héroïsme d’un peuple et de son armée amorça ce qui allait aboutir à l’écrasement du IIIème Reich (la seule bataille de Stalingrad élimina deux fois plus de divisions de la Wehrmacht que celles qui furent mises hors de combat à l’Ouest entre le débarquement et la capitulation ; 85% des pertes militaires allemandes durant toute la guerre sont dues à l’Armée rouge).
Dans de tout autres domaines, ce qui était alors l’URSS fut capable de promouvoir l’éducation, la science, la culture au sein du peuple, à un rythme et sur une échelle dont peu de pays peuvent se targuer. Accès massif aux études supérieures ; premier vol non habité dans l’espace, puis premier cosmonaute ; prix dérisoire pour la fréquentation des théâtres ou des salles de concert… (est-il permis d’ajouter que la promotion de la langue française fut spectaculaire : aujourd’hui encore, qui parcourt la Russie rencontre force interlocuteurs, notamment de milieux populaires, qui parlent la langue de Molière et connaissent souvent notre littérature bien mieux que nous-mêmes).
Sans doute les actuels dirigeants russes n’attendent-ils pas que l’Union européenne renvoie une autre image de leur pays que la caricature évoquée plus haut. Aucun espoir de ce côté-là. Pour trois raisons notamment. D’abord, certains pays-membres de l’UE ont à leur tête des responsables dont la raison d’être est historiquement la russophobie (pour ne prendre qu’un exemple, les gouvernants lettons mettent en œuvre des politiques de discrimination, de vengeance judiciaire et de révisionnisme historique, dont on a peu idée ici). Ensuite, l’Union européenne est née de, dans, et pour la Guerre froide, un baptême qui la rend définitivement siamoise de l’OTAN (quarante ans plus tard, Javier Solana est passé directement du secrétariat général de l’Alliance au poste de Haut-représentant de l’UE, et personne n’imagine que la baronne britannique qui lui succède fasse quoi que ce soit qui pourrait s’éloigner de cette consanguinité, au demeurant rappelée explicitement par le traité de Lisbonne).
Enfin et surtout, l’essence même de l’intégration européenne est de former un bloc par-dessus la tête des peuples et de leur souveraineté.
À l’inverse, les Russes ont tout à gagner à coopérer avec les Français en tant que Français, les Allemands en tant qu’Allemands (et, serait-on tenté d’ajouter, entre autres : les Grecs en tant que Grecs…). Et vice versa. S’il en était besoin, l’expérience vient de le confirmer : ce n’est sûrement pas grâce à Bruxelles que les salariés des chantiers navals de Saint-Nazaire pourraient voir conforter leur emploi – bien au contraire, si l’on observe le tollé qu’a soulevé dans certaines capitales la perspective de commandes russes de bâtiments militaires. Et ce n’est pas quelque improbable musée communautaire, mais bien le Louvre, qui propose les remarquables richesses de « la Russie éternelle ».
La « belle et bonne alliance » dont parlait le Général de Gaulle passe nécessairement par les peuples. L’année de la Russie en France (et de la France en Russie) ne devrait pas manquer d’y contribuer. – Pierre Lévy, rédacteur en chef du mensuel Bastille-République-Nations, secrétaire genéral de l’IRICIN (Institut de Recherches Internationales pour les Coopérations et l’Indépendance des Nations).